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Dégustation du Sistrot – 25 janvier 2024

Cela fait déjà sept ans que le Sistrot s’est installé à Quimper, sous les murailles qui délimitent l’enclos de Saint Corentin. Le bistrot des bords de l’Odet est rapidement devenu un haut lieu de la culture cidricole en Cornouaille. Outre un nombre impressionnant de cidres à la carte, on y trouve une belle collection de livres consacrés à la boisson de pommes. Tous les deux mois une douzaine de passionnés du breuvage s’y retrouvent afin de déguster des bouteilles venues des environs comme de toute la planète-cidre. La dernière de ces réunions s’est tenue il y a quelques jours en présence d’Emmanuel Beauregard, arrivé quelques jours plus tôt du Québec. Malgré le temps humide, la soirée fut particulièrement plaisante. Nous y avons découvert les premiers essais de vins de cormes avant de nous intéresser à des cidres d’Aquitaine de Champagne ou du Perche. Après cela nous avons dîner en compagnie d’un Nérios de chez Cecillon et d’un extra-brut cornouaillais de la cidrerie de l’Aphoticaire.

Cormes au Cap-Coz

Nous avons commencé par les essais de Vin de Cormes tentés par Franck Brigant avec le concours de Joel son père. La récolte des fruits avait rassemblé à l’automne 2022 quelques membres de Kelc’h ar Wezenn (l’association pomologique de Penfoulig) sous la conduite de Jean Pierre Gadiollet, ancien responsable des jardins de Fouesnant, qui n’ignorait pas que quelques cormiers (Sorbus-domestica) avaient été plantés par un de ses prédécesseurs à ce poste, en guise d’arbre d’ornement sur quelques espaces municipaux. Ce fut une rude récolte car nous n’étions pas habitués à de si petits fruits. Gageons que mon expérience de la cueillette des minuscules pommes sauvages au Québec pourra nous servir la prochaine fois. Le pressage et les essais de fermentation ont été réalisés par Joel et Franck Brigant. En parallèle, un essai d’hydromel à la Corme est en cours dans les cuves de Sylvain Le Cras, hydromélier à Concarneau. Des affaires à suivre donc.

Essai de Cormé N°1 par Franck Brigant – 75cl – 7%vol – récolte 2022. 

Pressée, sans broyage préalable des cormes, le jus obtenu titrait 1056 de densité. La fermentation fut menée complètement et la mise en bouteille réalisée 1003 de densité. Le résultat est un vin de corme tranquille de couleur orangée un peu nuageux car il n’a pas été filtré. Le nez floral et assez rond nous a fait retrouver le doux parfum du fruit. La bouche agréable et désaltérante, véhicule une acidité et assez d’astringence pour réduire à peu le fruité de la finale. Ce premier essais réalisé avec des fruits peut-être trop mûrs n’a pas éblouit les papilles de nos dégustateurs, mais il fut assez convaincant pour envisager de tenter une deuxième tentative nourrie de cette expérience.

Essai de Cormé N°2 par Franck Brigant – 75cl – 6,6%vol – récolte 2022. 

Obtenu cette fois-ci avec un broyage préalable des cormes, le jus obtenu titrait 1063 de densité. La mise en bouteille est intervenue vers 1016 de densité. Le résultat est un cormé effervescent à la robe un peu plus limpide que le précédent. Le service est assez similaire à celui de nos cidres cornouaillais avec un effet de mousse moyen laissant doucement les bulles danser dans le verre. Le nez est bien plus vif, toujours floral et propose entre les parfums de fruits des notes compotées. En bouche l’attaque est souple et laisse doucement place à un équilibre tout en douceur quoique acidulé avec un astringent. La finale acidulée est sucrée et moins marquée en fruits que l’essai précédent. D’une manière générale cette bouteille a convaincu les dégustateurs.

Essai de Vin de Cormes & Gwilhevig1 par Franck Brigant – 75cl – 5%vol. – récolte 2022.

L’assemblage a réuni 50% de jus de Corme (première pressée aux fruits non broyés) et autant de Jus de Gwilhevig. La présentation un peu plus pâle, a donné à voir un petit effet de mousse. Le nez est relativement puissant avec une concurrence des deux fruits et quelques fragrances un peu phenolées. En bouche l’équilibre penche bien sur vers l’acidité, mais sans réelle agressivité. Il en est de même pour le sillage final où l’on retrouve la concurrences des deux fruits. Toutefois cet essai n’a pas enthousiasmé la tablée.

Essais de vin de Cormes & pommes du vergers – 75cl – 5%vol – récolte 2022.

Le jus utilisé venait pour moitié du jus de corme de la deuxième pressée (fruits broyés) et du jus d’un assemblage à parts égales de Dous-moen, Marie Ménard, Kroc’hen-ki et Dous-koed-lignez. La couleur ne diffère guère de celle des cidres Cornouaillais classiques et le service donne à voir un bel effet de mousse. Le nez est complexe avec beaucoup de fruits et quelques notes évoluées. La présence des Dous-moen et Dous-koed-lignez en concurrence de la Corme a été remarquée par certains. La bouche plutôt douce amère s’équilibre bien avec l’acidité et le velouté de la Corme. La fin de bouche est longue et fruitée. Cet essais a donné un joli vin de fruits qui a ravi les participants.

On attend pas Patric’HIC, Cidres Hic à Bordeaux – 75cl – 4%vol – Certifié Bio – récolte 2022.

La cidrerie Hic est la création de deux Normands égarés en terre viticoles. Ce n’est pas nouveau car le bon Docteur le Paulmier de Grentemesnil s’est en son temps également aventuré en terres viticoles. Il s’agit selon l’étiquette d’un assemblage de 50% de pommes Normandies et d’autant de pommes aquitaines, mais sans précisions sur les dites variétés. Au service le verre s’éclaire d’un jaune paille peu troublé par l’effervescence. Cela nous changet radicalement des bouteilles précédentes. Le nez est léger voir absent, mais en insistant on y trouve du fruit et de la fleur. La bouche est à l’avenant, légère, acidulée et sucrée. La finale est assez courte avec des notes de bonbons acidulés. C’est au final assez homogène pour une expression pleine de légèreté de la pomme qui conviendra, bien frais, au dessert comme au farniente sous le soleil d’Aquitaine.

Cidre de la Maison Gamet en Champagne – 75cl – 5%vol – récolte 2022.

Plus connue pour ses Champagnes, la Maison Jamet sise à Mardeuil dans la Marne, produit du cidre depuis quelques années, reprenant une ancienne tradition locale avérée par ailleurs en Champagne. Il s’agit d’un assemblage de pommes majoritairement acidulée comme la Judor (plus généralement utilisée en jus de pomme). La bouteille est avenante et le service maîtrisé, comme attendu par des élaborateurs habitués à l’exercice. Au nez le fruit a du mal a percer sous la puissance minérale et s’éloigne assez du monde cidricole. En bouche c’est sec, épuré et acidulé. L’ensemble manque de corps si bien que la fin de bouche, assez étroite, fait la part belle au minéral. Ce cidre est une belle initiative et trouvera sa place sur quelques tables, mais il existe des expériences similaires de producteurs navigant entre vin pétillant et cidre, en Italie par exemple, avec des résultats moins viticoles.

Cidre Lacour-Veyranne – Cuvée des vergers oubliés – 75cl – 8%vol – récolte 2022.

Tout comme Julien Le Paulmier, nous voici revenus en terres cidricoles, dans le Perche qui bénéficie désormais d’une Appellation Origine Contrôlée. Le cidre proposé est Bio et les pommes sont évidemment locales, mais sans la précision des variétés (cest cependant indiqué dans le cahier des charges de l’Appellation). Le service est soigné, belle et originale bouteille et agréable limpidité, effet de mousse et bulles fines. Le premier nez est minéral avec des notes volatiles et il faut de la patience pour déceler l’herbe, la fleur et le fruit. En bouche, c’est sec et la balance amertume-acidité est trop sensible pour s’équilibrer sans agressivité. La finale est tannique et s’accompagne de fruits et d’astringence. Avec son expression franche de la pomme à cidre, ce cidre a du caractère, mais conviendra pas à toutes les tables.

L’heure, qui n’est pas l’amie des dégustateurs bavards, avait tourné et nous en sommes resté là. Il nous fallait dîner et en guise d’apéritif nous eûmes droits au fameux hydromel à la corme. Au bout d’un an qu’il s’arrondit dans de dodues dames-jeannes, le résultat est déjà sympathique et les parfums et saveurs de cormes viennent en s’affirmant concurrencer le miel. Sylvain le laissera encore une année afin que ce soit parfait. Nous patienterons donc. Le “cider diner” s’est ensuite prolongé assez tard avec la délicate mission d’arbitrer le match entre le Nérios de chez Johanna Cecillon et l’Extra-brut de l’Apothicaire. Le producteur de ce dernier était présent et cédant à un chauvinisme de bon aloi, la tablée a décidé que le terroir de Clohars Carnoet (en Cornouaille) n’usurpe pas sa réputation.

Nous n’avons pas tout passé en revue et remettrons cela en Avril. D’ici là buvez du cidre, avec modération bien entendu, mais surtout goûtez à toutes les expression de la pomme à cidre. Étaient présents autour de la table Erwan et Eric du Sistrot qui nous recevaient, Claude Le Brun, harpiste et cidrier amateur en Pays Bigouden, Joel et Franck Brigant, véritables références des cidriers amateurs du Pays Bigouden (Franck est également guitariste et nous a fait la primeur de son récent CD). Angélique et Nathan, ainsi que Matthieu Huet de la Cidrerie de l’Apothicaire, Sylvain Le Cras de l’hydromelerie Ô la Butine, Karine (voyageuse au long cours tombée en arrêt devant l’hydromelerie), Emmanuel Beauregard de Sainte Mélanie près de Joliette au Québec.

  1. Gwilhevig est l’écriture correcte en breton de Guillevic ↩︎