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Pommiers sauvages du Québec – 04.

Les montagnes du Vermont depuis Dunham

Retour dans les Cantons de l’Est.

En quittant la Petite Nation, nous avons longé l’Outaouais, passant d’une rive à l’autre par l’Ontario. La succession des autoroutes a pris fin quand nous avons bifurqué vers les collines indiquant la proximité de la frontière avec les États-Unis. Nous étions attendus par des amis, producteurs de pommes à croquer. Même si le temps des récoltes n’est pas le meilleur moment pour les visiter, il eut été dommage d’être au Québec et de ne pas passer les voir. Ils eurent la bonne idée de ponctuer notre périple par la visite d’une des nouvelles cidreries de Frelisburg, et une réunion improvisée dans un verger d’expérimentation de pommiers. Nous n’avions donc pas fini de croquer.

Freligsburg

Le climat relativement doux de ses collines et la qualité de sa terre, en a depuis longtemps fait un important centre de production de pommes à croquer. C’est également un pays de cidre. Deux cidreries en produisent depuis la fin du siècle dernier et ces dernières années ont vu pas moins de cinq autres s’y installer. Certaines récoltent en partie leur matière première sous les pommiers sauvages avoisinants. Il s’y trouve également un établissement d’expérimentation avec des scientifiques et techniciens. Ce coin du Québec concentre donc toute la chaîne du savoir et de l’expérience de la pomme.

Cassine, Cidre,Québec, Cocktail au cidre,

Au centre de Frelisburg il y a plusieurs cidreries, mais c’est chez Cassine, qui connait un bon démarrage et dont les cidres sont convaincants, que étions attendus. Pas de visite de pommiers ni de pommes à croquer cette fois-ci, mais une visite de la cidrerie installée en plein centre du village au sous-sol d’une grange centenaire réaménagée. Après cela nous avons pu profiter de l’ombrage du gazebo et déguster des quatre cidres de la maison, dont un est élaboré uniquement avec des pommes sauvages. Deux cidres sont aromatisés avec des fruits locaux et il est à saluer que leurs étiquettes comportent la mention “Cocktail au cidre”. Alexandre Genest, qui nous recevait, est conscient que l’approvisionnement en pommes sauvages pourrait à terme devenir difficile du fait de la concentration des cidreries. L’hypothèse d’un verger de pommes issues de ses collectages est donc une option, même si cette éventualité est encore lointaine. En tout cas, ses cidres sont effectivement convaincants.

Nous avons ensuite visité la ferme d’expérimentation toute proche ou de nombreuses variétés de pommes à croquer et à cidre sont suivies dans le cadre de programmes officiels Canadiens. Laurence Tétreault-Garneau, agronome, qui nous recevait, nous livra ses commentaires sur quelques unes des pommes à cidres cultivées au Québec, dont le programme d’expérimentation touchait à sa fin. À vrai dire j’étais assez content d’y retrouver la Kermerrien, avec ici de très beaux fruits (ils ont sensiblement le même goût qu’en Cornouaille). Quelques unes des trouvailles de Claude Jolicœur sont également passées par là. En arpentant les impeccables rangées de fruitiers, il était facile de mesurer que tous les fruits que nous avions croqués pendant deux semaines avaient encore un sacré parcours d’obstacles avant d’être admises en ce lieu.

Verger d'expérimentation, Québec, Pommes à cidre.
À deux pas de Frelisburg, dans une ferme expérimentale, des rangées de pommiers à cidre.

Réflexions d’un témoin privilégié.

Cette “virée-pommes” dans des massifs forestiers et des bois dégagés de leur fatras végétal, de pommiers sauvages, à l’immédiate périphérie du Québec animé des villes et des villages, aura confirmé la richesse et la diversité des pommiers qui s’y trouvent. Si seule une petite minorité de ces arbres semblent pouvoir donner des fruits aux qualités d’arômes et de saveurs compatibles avec des boissons de qualité, ceux-là peuvent sans problème y prétendrent. Il existe donc une réelle possibilité de voir se développer une filière cidricole à la typicité québécoise. Cependant, s’il n’existe pas de bon cidre sans bonnes pommes, les fruits ne font pas tout et la définition de cette typicité pourra demander du temps, de l’énergie avec sans doute des variantes régionales. Il y a en effet peu en commun entre des zones maritimes et d’autres au milieu des terres, même si tous les endroits visités ont en commun la proximité (parfois relative) d’une métropole ou d’une destination touristique. Cela oblige à s’interroger sur le territoire de chaque typicité, l’homogénéité de sa collection pomologique, la méthode d’élaboration, l’assemblée organisatrice et le message culturel différencié de sa communication. Tout cela est relativement long à mettre en place, même si l’enthousiasme est là pour raccourcir les délais.

Récolter des fruits en forêt de pommiers sauvages garantit évidemment de produire un cidre reflet de la terre dont il est issu. Toutefois cela n’assure en rien de la pérennité des approvisionnements, sauf si la forêt appartient au cidrier. Même dans ce cas rien n’est certain car les pommiers alternent, parfois sévèrement et sauf à les entretenir de façon rigoureuse, ce qui amoindrit leur caractère “sauvage”, il en sera toujours ainsi. La multiplication des petites cidreries pratiquant la “cueillette” dans des forêts privées, pose un problème d’accès qu’il faut obtenir de la part des propriétaires. Ces derniers pourraient également avoir d’autres idées en cas de succès des cidres issus de leurs terres. Ce n’est pas d’actualité, mai il semble prudent de préparer le passage à des vergers de production plantés des meilleurs spécimens des variétés sélectionnées en forêt. Le préalable étant toutefois de s’assurer de la capacité de ces fruits à s’y adapter sans trop y perdre. Ce travail là ne peut pas se faire seul. Il mobilise toute une chaîne de compétences allant du découvreur aux scientifiques et techniciens de la terre et du du verger, jusqu’aux pépiniéristes, au moment de la duplication des arbres.

Forêt de pommiers sauvages, Québec, Piste
Pour s’aventurer dans les forêts de pommiers sauvages, il faut d’abord y ménager un chemin.

Au delà des aspects techniques inhérents à cette quête de fruits nouveaux, il semble également naturel d’imaginer l’histoire et les histoires que les cidres qui en sont issus racontent. Leur registre est encore pour longtemps celui du produit de niche et ils ne peuvent pas prétendre emporter la décision d’achat par un prix attractif. Il leur faut donc un marketing solide en harmonie avec la naturalité “sauvage” de leur matière première, avec la qualité de vie de ses “cueilleurs-transformateurs”, avec le caractère du territoire où ils sont produits. Le nom commercial de ces variétés est à cet égard un premier indice. Remplacer le froid matricule1 des recherches peut indiquer selon le cas, une saveur dominante, un lieu de découverte, un nom de découvreur et peut-être une anecdote liée à l’arbre2. Ces éléments constituent la matière de belles histoires et contribuent à construire la culture cidricole d’un terroir, en posant les bases de sa réputation.

Quelques pommes croisées en chemin.

Montage pommes, Pommes connues,
pommes sauvages,
Sur le haut : Bulmer’s Norman, Harrisson, Kermerrien, Douce de Charlevoix. Sur le bas : Inconnues de Petite Nation, Inconnue de la Guadeloupe/2, Inconnue de Saint Jean de Matha,  Inconnue de la Guadeloupe/1.

Nous étions là pour croquer la pomme (en tout bien tout honneur), et nous en avons croquer beaucoup. Seule une minorité d’entre elles étaient dignes d’intérêt, même si toutes à l’occasion pourraient trouver place, à petite dose, dans un assemblage. À quatre vingt pour cent des échantillons, l’acidité dominait, parfois férocement. Les autres spécimens présentaient une palette de saveurs diversifiées avec du sucre et parfois de l’amertume (étonnamment plus marquée près de la mer). Deux fruits présentaient (à mon avis) des parfums absolument remarquables et un autre s’est révélé assez astringent pour éveiller notre curiosité. Il y a donc de quoi créer à terme une collection pomologique québécoise capable de signer de beaux cidres de caractère. C’est une longue aventure qui sera collective (travailler ensemble à un objectif commun n’a jamais empêché la concurrence) et verra probablement des d’échecs, des doutes et au bout des réussites.

À la fin, ce seront les pommes à cidre qui raconterons le mieux cette belle histoire.

Remerciements à :

Portraits souvenirs du Québec
Sur la ligne du haut : la vieille ville de Québec, Simon, Emmanuel, Alexandre Sur la ligne du bas : Gaston, Marie-Anne, Claude, et une pommette américaine (faut avoir la foi pour faire du cidre avec un si petit fruit).

Nicolas Filion de la cidrerie Baie St Pomme, pour la découverte de sa forêt de pommiers sauvages à Baie Saint Paul. Gilbert Begin de Radio Canada pour les deux journées d’échanges autour de la pomme à cidre. Alain, Sylvie et Simon Beauséjour pour leur chaleureux accueil à la cidrerie l’Enraciné. Emmanuel Beauregard et ses amis, pour la “grande dégustation” des pommes sauvages de Saint Jean de Matha. Eric Hébert pour son bel l’accueil en son magnifique domaine. Marie-Anne Adam et Gaston Picoulet de la cidrerie Les Pommes Perdues pour la découverte des forêts sauvages de Petite Nation et l’accueil au chalet dans un si joli vallon. Marlène Boutin-Masse et Alexandre Genest pour leurs cidres Cassine. Laurence Tétreault-Garneau pour son accueil à la ferme expérimentale aux portes de Frelisburg. Monique Audette et Luc Vincent, des Vergers du Lac à Dunham, où nous avons toujours plaisir à revenir. Remerciements à Charles et Simon pour m’avoir confier leur guitare, le temps de quelques accords et aux participants de la “Party de pommes” à Petite Rivière pour avoir pris le temps se savourer mes histoires de cidre cornouaillais.

Enfin mersi bras à Élisabeth Le Bihan qui m’accompagne depuis si longtemps et un très très grand merci (trugarez bras bas) à Banu Khamzina et Claude Jolicœur pour nous avoir offert de participer à cette grande virée des pommiers sauvages du Québec.

La récolte des pommes au Vegr du Lac
La cueillette des pommes au Verger du Lac (Octobre 2023).
  1. La pomme de terre “BF15” dont le matricule devint assez célèbre en Bretagne pour ne pas nécessité d’autre nom, en est cependant une exception remarquable. ↩︎
  2. La Trail des vaches de Nicolas Filion en est un bel exemple. ↩︎