Aller au contenu

Pommiers sauvages du Québec – 02

Fin d'été sur les Appalaches

Du Charlevoix à la Beauce.

Le Charlevoix est un territoire que Claude Jolicœur connait bien. Il y possède une maison entourée d’une terre dont les vieux pommiers furent assez convaincants pour ajouter à sa curiosité le goût de la pomme et de la boisson que l’on peut en faire. Cela le conduisit à fréquenter les Franklin County CiderDays au Massachusetts, où il finit de se convaincre qu’il n’est nul bon cidre sans bonnes pommes. Les arbres “standards” de son domaine donnaient des fruits assez goûteux pour produire une boisson savoureuse, mais l’expérience d’Andy Brennan avait montré que les forêts d’Amérique du Nord en cachaient d’autres encore meilleurs. Ses propres découvertes le lui confirmèrent rapidement. La suite fut affaire de rencontres avec ses lecteurs tout d’abord, puis en partant à la découverte d’autres forêts de pommiers sauvages

Entrée de la forêt de pommiers sauvages de Baie Saint Paul au Québec
Passé le premier rideau d’arbres, l’impressionnante forêt de pommiers sauvages barre le passage.

Baie Saint-Paul en Charlevoix

Claude Jolicœur m’en avait prévenu, nous irons à Baie Saint Paul. Le lendemain de mon arrivée à Québec, tard le soir, nous sommes donc partis de bon matin voir cette forêt de pommiers sauvages en compagnie de Gilbert Bégin, journaliste de La Semaine Verte, et rencontrer Nicolas Filion propriétaire des lieux et fondateur de la cidrerie Baie Saint Pomme.

L’immense parcelle jouxtée par la forêt, s’étale à quelques centaine de mètres du Saint Laurent, idéalement orientée vers l’embouchure de la rivière du Gouffre et droit devant, l’île aux Coudres. Les ours (ils y viennent encore et signent toujours leur passage) avaient depuis l’abandon d’un premier verger aujourd’hui disparu, disséminé des pépins sur cette prairie laissée en jachère. Nicolas Filion y recensa plus de mille cinq-cent pommiers dont certains lui semblaient porter des pommes possiblement capables de donner de bons cidres. Il décida de s’y mettre et ouvrit sa cidrerie. Le travail de nettoyage du terrain fut une longue entreprise qui se poursuit encore. Si le cidre fut anciennement une production de la ferme, son savoir s’était oublié et le néo-cidirer fit appel à Claude Jolicœur qui avant toute chose répertoria tous les arbres. Ensuite seulement les deux hommes délaissèrent les moins intéressants pour se concentrer sur ceux jugés les plus prometteurs. Le jour de notre visite, sous l’œil des caméras, il ne s’agissait pas de découvrir de nouvelles variétés, mais de vérifier les comportements de quelques unes d’une année sur l’autre. L’exercice est indispensable car une pomme aux saveurs intéressantes, ne l’est pas si la productivité de son arbre est toujours médiocre. C’est donc un travail de longue haleine, préalable au lancement d’études plus approfondies.

Pommes sauvages, Contrôle, Baie Saint Paul, Claude Jolicœur
Vérifier année après année la productivité d’un pommier n’empêche pas de s’intéresser à la qualité du fruit.

Cela n’empêche pas d’avoir une idée des résultats a en attendre et nous avons passé des heures à collecter suffisamment de pommes de plusieurs variétés sauvages, afin d’en tirer assez de jus et pouvoir les analyser. Au soir nous étions tous, y compris les journalistes qui avaient également beaucoup marché dans l’herbe haute, assez fatigués de nos va et vient parmi les pommiers. Nous avons cependant pris le temps d’une interview champêtre qui se révéla un excellent moment de partage dans le soleil couchant. Le verger de pommiers sauvages de Baie Saint Paul recèle de magnifiques palettes de saveurs et de parfums. L’amertume et le sucre y sont en particulier bien présents dans plusieurs fruits. Cela augure d’un terroir bien typé, reflet de la douceur de son bord d’estuaire. Si les arbres y sont pour le moment repérés d’un froid numéro (les nommer devrait être un exercice très plaisant), l’un d’eux a déjà son nom, le Trail des vaches. Il fut l’un des premiers arbres a avoir attiré l’attention de Nicolas Filion. Il doit son patronyme au fait qu’il pousse sur le bord du chemin menant aux pâturages de la ferme paternelle. Un nom qui gardera pour longtemps la mémoire de son lieu de découverte et surtout de son lien avec l’activité traditionnelle d’élevage de la ferme.

Petite Rivière en Charlevoix.

Le vieux verger de Petite Rivière et le Saint Laurent

C’est là que tout à commencé pour le “Geek de pomme” comme il se qualifie volontiers. Le vieux verger au bas de son terrain, merveilleusement orienté plein sud avec à ses pieds l’immensité du Saint-Laurent est toujours là. Les arbres qui y meurent de vieillesse sont peu à peu remplacés. La parcelle est sa réserve de matière première car il élabore chaque année plus qu’il ne lui en faut de cidre pour la consommation familiale (Claude Jolicœur ne produit pas de cidres commerciaux). Autour de ce verger, les ours, leurs comparses et peut être les eaux de ruissellement, ont fait leur “travail”. Il s’y trouverait pas moins cent cinquante pommiers sauvages dont une petite dizaine sont dignes d’intérêt. Il a créé un verger d’expérimentation plus haut sur son domaine. Les trouvailles des forêts de pommiers sauvages du Québec y cohabitent avec des variétés venus du monde dont il expérimente depuis les années 1990, la capacité d’adaptation au rude climat nord-américain. Au moment d’écrire ces lignes, ce sont pas moins de cinq variétés (les Banane amère, Bilodeau, Douce de Charlevoix, Maillard et Pommette d’Olaf) qui ont été mise à l’essai dans une ferme d’expérimentation et chez plusieurs pépiniéristes.

Le pommier d’origine de la Mustela au milieu d’un imbroglio végétal.

Récemment c’est vers le haut de sa propriété, au beau milieu d’une jungle inextricable qu’il à découvert trois variétés prometteuses, prestement baptisés Marmota, Mustela et Tamia, les noms de quelques uns des petits animaux sauvages qui fréquentent les lieux. Elles ont été rejointe par la Ligori qui provient, comme la Maillard, d’un délaissé routier en bas de son terrain. Autant avouer que ma sensibilité bretonne s’est réveillée en entendant le nom Mustela. Mustela erminea est le nom latin de l’hermine, un animal dont la silhouette stylisée ornait le blason de la Duchesse Anne de Bretagne et qui orne toujours le “Gwenn ha du”, le drapeau de mon pays, très souvent agité par des Bretons en voyage lors de diverses manifestations autour de la planète. La Mustela est plutôt petite, de couleur jaune discrètement lavé de rouge. C’est une douce-amère bien sucrée et nettement amère dont la description et la photo (comme de toutes ses autres trouvailles) sont sur le site : http://www.cjoliprsf.ca/cidrvars.htm 

La Guadeloupe en Beauce.

Placotage
Lorsque Claude Joilcœur et Alain Beauséjour, “placotent” pommiers, cela peut durer longtemps.

Cette visite était prévue de longue date et fut inscrite tout naturellement dans notre programme. Cela fait deux ans que Simon Beauséjour, percussionniste réputé de la scène jazz québécoise, était venu en Cornouaille voir comment étaient organisées nos petites cidreries commerciales. À cette époque là, il voyait ses parents prendre de l’âge et se disait qu’il ne pouvait pas laisser s’en aller à vau-l’eau la propriété familiale, où son père avait patiemment dégagé près de six cent pommiers sauvages des taillis qui les enserraient. Il faut croire que son voyage fut inspirant car en arrivant à la cidrerie l’Enraciné les installations avaient pris une belle tournure et la première cuvée s’apprêtait à rejoindre les rayons des points de vente. La plaine, bien dégagée de ses arbustes envahissants laisse maintenant les pommiers bien éclairés donner des rendements en nette amélioration. Beaucoup de fruits sont acidulés, quelquefois à l’excès, mais il s’y trouve également plusieurs douces dont quelques-unes proposent une belle amertume. Au milieu de la plaine, un très beau pommier, bien garni de jolies pommes dorées, douces et parfumées, semble être porteur du fuit idéal pour apporter de la douceur et des parfums aux cidres du cru.

Pommier sauvage des Appalaches à la Guadeloupe
Ce n’est pas la productivité des pommiers qui fait défaut

À l’orée de la plaine, la forêt se fait épaisse, sans la moindre transition, et s’y frayer un chemin réclame une certaine pratique. Il est surprenant d’en découvrir le sol tapissé de pommes par endroit. En levant les yeux, s’illustre dans un enchevêtrement de branches, la rude concurrence des arbres pour s’élever vers la lumière. À ce jeu les pommiers de la Guadeloupe semblent exceller. Entourée de massifs forestiers, la présence d’animaux sauvages ne fait aucun doute. Alain et Simon Beauséjour pensent devoir leur pommiers au chevreuils, nombreux dans les Appalaches. La  prairie rassemble près de six cent variétés de pommiers sauvages où le père et le fils ont déjà commencé la sélection des fruits et même planté d’autres variétés cidricoles réputées. Ce verger a fait l’objet de plusieurs visites de pomologues et quelques uns de ses spécimens sont déjà en observation. Le projet est évidemment de fiabiliser la ressource afin de stabiliser dans un avenir proche un cidre représentatif de ces collines. L’affaire est donc en bonne voie et en parallèle c’est le travail dans le chai et l’ébauche d’un marketing fidèle au lieu qui monopolise les énergies. Gageons que la jolie pomme douce citée plus haut pourrait bien orienter la production vers des cuvées soyeuses et apaisées, à l’image de cette grande plaine des pommiers, à l’image également de l’humanité communicative des fondateurs de la cidrerie l’Enracinée.

Prochain article, d’ici quelques jours : Pommiers sauvages du Québec – 03. De Lanaudière à l’Outaouais. Nous y serons accueillis par les compagnons de Saint Jean de Matha et partirons ensuite à la recherche des pommes perdues de la Petite Nation, par des routes pittoresques colorées des couleurs de l’été indien.