2017 – Retour sur une année Cidricole

L’année 2017 a été riche de rencontres qui nous ont appris autant qu’elle nous ont laissé d’interrogations. Si janvier nous avait rassuré sur la qualité des cidres de la récolte 2016, février, avec le concours du CGA(1), n’apporta qu’une modeste moisson de médailles. En avril par contre les cidres cornouaillais ont brillé au concours GLINTCAP(2) avec du Bronze pour l’AOP Menez-Brug, de l’Argent pour Le Brun et surtout de l’Or pour l’AOP Kermao couronné d’un “Award Best in Class” dès sa première participation. Cette reconnaissance internationale peut enfin marquer un nouvel essor pour le seul Cidre en Appellation Origine Protégée de Bretagne.

Les dégustations du Sistrot.

Dès le mois de Janvier, autour de Ronan Gire, le “cidrexpert” du Sistrot, nous avons initié un cercle de dégustations(3) avec pour objectif de tester des produits glanés ici où là par chaque membre du Groupe. Dès les premières séances, nous avons compris que nos cidres sont une rareté dans le paysage cidricole mondial. Ils sont élaborés avec un assemblage restreint de variétés de pommes à cidre dont ils utilisent le jus frais en suivant un processus d’élaboration traditionnel de la clarification, la fermentation et la prise de mousse en bouteille. Plus rare encore, ils sont franchement amertumés et le revendiquent.

Cela ne nous a pas empêché d’apprécier des produits du vaste monde, généralement acidulés, dont certains utilisent des fruits (ou des jus concentrés de fruits) dont nous n’imaginions pas que l’on puisse en faire du cidre, alors que d’autres se rapprochent de nos standards. Ces réunions nous ont confirmé que la planète cidre existe, qu’elle est en pleine effervescence et qu’elle est faite d’une multitude de couleurs, d’arômes et de saveurs, à tel point qu’il devient difficile de s’y retrouver.

Le bel été cidricole.

Le mois de juin est désormais le rendez-vous annuel des cidres bretons. La Cornouaille avait l’honneur de recevoir le troisième CRMCB(4) en 2017. Les cidriers Bretons n’y sont pas tous représentés, les uns  pour raisons de disponibilité et les autres de différents avec les organisations cidricoles. A noter que si les Cornouaillais se déplacent volontiers quand le concours se tient à Nantes ou à Dinan, les jurés de Bretagne orientale ont snobé Quimper. Du coup la Cornouaille a largement dominé le palmarès(5), mais le plus important est que ce fut une belle journée et que les médias francophones et bretonnants aient bien relayé l’événement.

L’été sur la côte c’est évidemment l’affluence et une période de travail intense pour les cidriers qui réalisent le gros de leurs ventes en quelques semaines. Ils réservent cependant le troisième week-de juillet pour le concours de cidre de Fouesnant (la 106ème édition en 2017). Ce concours a la particularité de réserver toute leur place aux producteurs amateurs, qui sont nombreux. Ces passionnés produisent parfois de vrais chef-d’œuvres et il est bien que Fouesnant leur réserve un accueil identique à celui réservé aux professionnels(6). À coté du concours, la journée présente un cidre du monde, cette année c’était l’Italie où la tradition reprend de la vigueur, et propose une conférences, cette année un état des lieux du Verger Conservatoire de Penfoulig.

Juillet c’est également le Festival de Cornouaille, vénérable institution crée en 1923 qui oscille entre tradition et modernité. L’AOP Cornouaille y est présent chaque année avec cette fois un espace de dégustation au cœur du “Cornouaille Gourmand”, le village des meilleures gourmandises locales.

Macgleo avec Elisabeth, James Forbes (Little Pomona Cidery), Tom Oliver, Claude Jolicœur et Banou. Photo Susanna Forbes.

Vers la fin août, Claude Jolicœur revenait d’une expédition dans les forêts primaires de pommiers du Kazakhstan, et nous nous sommes retrouvés à Londres pour une virée dans les vergers du Herefordshire(7). Au delà de l’excellent accueil des cidriers Anglais et Gallois, se dessine un bouleversement de la grande tradition du cidre au Royaume-Uni avec l’arrivée de nouveaux opérateurs industriels, la résistance farouche des hommes du cru (et Dieu sait qu’il savent résister), la pression des nouveaux cidres du monde et la lente érosion de la fréquentation des Pubs.

Rencontres d’automne.

Septembre c’est vendémiaire, le temps des vendanges et parfois le début des récoltes de pommes, mais en 2017, ce fut le mois de la célébration de la XXème Cuvée de l’AOP Cornouaille avec une “Cyber-Dégustation”(8) entre Quimper, Nantes et Rennes(9), qui a rencontré une belle audience sur les réseaux.

À peine remis de cette soirée arrivait le SISGA de Xixoñ(10) organisé avec le soutien du Gouvernement local. La particularité Asturienne est la militante fidélité des gens à leur cidre. C’est le socle d’une vraie filière Cidricole qui entretient des liens commerciaux forts avec l’Amérique (au nord comme au sud). En revenant de Xixoñ, direction le Val d’Aoste pour une extraordinaire dégustation sur les pentes du Matterhorn (Cervin) a 3 317 m de haut. Ensuite, ce furent les fêtes d’Automne de Kernault et de la pomme à Fouesnant(11).

Miz du (novembre), il commence à faire plus frais et la récolte tire à sa fin. Il y a eu peu de pommes cette année, mais ce fut moins pire qu’attendu et au final, du moins par ici, les ateliers ne se plaignent pas de trop. La fin du mois est marquée par le Sagardo Forum d’Hernani au Pays Basque (Espagne). L’occasion de venir encore présenter le cidre Breton, de faire découvrir l’AOP Cornouaille et de rencontrer quelques acteurs d’une informelle “Guilde Internationale du Cidre” qui se dessine depuis plusieurs années.

L’art de servir le Sidra Natural (Concours du Sagardo Forum)

Au Sagardo Forum il y a une journée pour parler des cidres du monde, une autre pour le cidro-tourisme et un concours de cidre(12) le tout émaillé de visite de vergers, de musées et bien sûr d’agapes animées de “Txotx” dans les Sagardotegia. On n’apprend pas grand chose dans ces rassemblements, tout juste est on conforté (ou pas) dans ce que l’on sait (ou que l’on croit savoir), mais on y rencontre des gens qui vivent à leur manière cette grande agitation du cidre.

“Reuz”(13) dans le cidre.

Le cidre est un marché en mutation. L’apparition du #ciderlover il y a quelques années lui a donné un sacré coup de jeune et fait migrer un certain nombre de consommateurs de la bière vers le cidre et d’autres du vin au cidre. Cela a immédiatement généré une frénésie qui a vu des multinationales s’y intéresser et créer ou racheter des marques. Dans la foulée des opportunistes s’y sont mis avec des productions artisanales où l’imagination remplace parfois le savoir-faire. Parti des USA, le mouvement a gagné la planète et ébranlé la vieille Europe où le cidre de tradition s’était plus ou moins maintenu.

Le résultat est que le mot cidre semble aujourd’hui désigner n’importe quelle boisson qui contient, de près ou de loin, de la pomme (ou un extrait de pomme). Au récent Sagardo Forum d’Hernani au Pays Basque, nous avons entendu l’Américain Brian Rutzen s’inquiéter que tel Craft-cider(14) soit en réalité un Crab-cider(15) et l’Anglais Mike Niel parler de la “crise d’identité” du cidre au Royaume-Uni. Nous y avons débattu avec des personnes persuadées que le cidre est la “nouvelle bière”, nous avons également vu, lors du concours, une catégorie “Cidre moderne” et une autre “Cidre Aromatisé”, des dénominations par défaut, alors que les distinctions entre brut, demi-sec ou doux n’apparaissaient pas.

Pendant ce temps, le marché semble évoluer correctement même si l’euphorie tend à s’estomper, mais la crainte de la stagnation se dessine pour la “nouvelle bière” car le client, s’il est jeune et avide d’expérimentation, n’est pas fidélisé. Il semble que le temps de l’aromatisation à tout va est en fin de cycle et que le consommateur réclame désormais du ”vrai cidre” avec moins d’artifice et plus de qualité. C’est sur ce créneau (une niche dans la niche, dirait un expert du Marketing) que se positionnent les cidres de tradition, des produits qui n’ont rien à voir avec une alternative à la bière, qui peuvent être une alternative au vin, mais qui sont simplement les héritiers du cidre que l’on buvait au quotidien il n’y a pas si longtemps, dans de nombreuses campagnes.

Une délégation de la Northwest Cider Association en Cornouaille (ici avec Joseph Jan à la Cidrerie de Lezergue)

Il est intéressant de noter qu’au moment où les professionnels des ancien territoires du cidres s’initient à l’aromatisation et aux “Cidres modernes”, ceux du nouveau monde se mettent en quête des pistes pour une offre de qualité, qu’ils viennent chercher dans ces anciens territoire du cidre. Les résultats de certains concours sont à cet égard très instructifs.

Le cas de la France

Les cidres français semblent échapper à cette agitation. Les productions industrielles continuent de décliner lentement, mais surement (l’image du cidre en France peine à se renouveler), et les cidres artisanaux progressent, mais seulement sur leurs zones de production respectives et généralement grâce à la fréquentation touristique.

La réglementation Française autorisant ses industriels à produire du cidre avec pour moitié du jus concentré, ceux-ci se retrouvent hors jeu (à moins de se délocaliser) dans des pays où l’on peut faire du cidre sans utiliser la moindre pomme fraîche (c’est nettement moins cher). Dès lors nos champions hexagonaux n’exportent guère et se retrouvent en concurrence avec des petits producteurs, leur imposant de fait des prix de marché plutôt bas qui leur laissent peu de marges de croissance.

Cette règle d’une moitié de vraies pommes voulait protéger le verger à cidre français, (le plus grand d’Europe). La réalité est que les cidres dans le monde sont majoritairement produits à partir de pommes à couteau (ou de jus concentré de pommes à couteau) car il n’y a guère que les pays de vieille tradition Cidricole où les petits producteurs travaillent à partir de pommes à cidre (la niche dans la niche dont on parlait plus haut). Or une pomme à cidre coûte assez chez à produire et si le prix du cidre est trop bas, ce verger ne pourra pas être maintenu, sauf a en vendre les cidres à l’étranger où les prix sont plus rémunérateurs. On peut donc s’attendre à des remous dans la filière cidre.

Vœux pieux.

Au train où vont les choses, une limonade au goût de pomme s’appellera bientôt cidre. Il ne faudra pas s’étonner alors que le marché se rétracte (un tel scénario s’est déjà vu au Québec dans les années soixante-dix). Pour y remédier, ce qui a été fait, à la fin du XIXe siècle pour le vin, pourrait servir de base à une réflexion à mener (le mot vin ne concerne que les boissons issues de raisin frais alors que les boissons aromatisées à base de raisins ne peuvent pas s’appeler vin). En attendant il faut informer le consommateur sur les différentes significations du mot cidre. Ce serait un premier vœux pour l’année à venir.

Un deuxième vœux serait que les professionnels français du cidre s’accordent un peu mieux pour que les uns retrouvent un chemin de croissance et les autres un peu plus d’autonomie. Il semble cependant que le fonctionnement des pratiques ne soit pas près de changer au pays de l’ultra-centralisme.

Enfin la Cornouaille s’essaye à mettre en pratique l’adage qui dit que penser “hexagone” vous relègue à la marge, tandis que de penser “monde” vous met au centre du jeu. Bon vent donc au Sistrot(16) dont la carte s’internationalise et à Breton Cellar dont les horizons sont au-delà des mers. Ce dernier vœux serait donc que les héritiers du “meilleur cidre du monde” cher à Le Guyader puisse se retrouver un peu partout sur la planète, “war bed a Bez”, comme on dit ici.

Chañs deoc’h leun avaloù en hor wezenn(18).

Macgleo 2018

  1. Les résultats cornouaillais – AOP: Argent, Le Brun, Bronze, Menez-Brug – Cidre fermier demi-sec: Argent, Le Brun & Château de Lezergué – Cidre IGB Bretagne doux: Or, Kerné, Bronze, Château de Lezergué – Cidre artisanal brut: Bronze, Distillerie des Menhirs & François Séhédic – Cidre artisanal demi-sec: Or, Kerné, Argent Le Brun – Cidre artisanal doux: Or, Les Celliers de l’Odet, Argent, Le Brun.
  2.  GLINTCAP (Creat Lakes International Competition of Perry and Cider) à Grand-Rapid au Michigan (USA) est le plus important concours de cidre au monde avec plus de 1 200 produits en compétition en une douzaine de catégories. A noter la médaille d’Argent de la Cidrerie Nicol (56).
  3. Ces rencontres font toutes l’objet d’un compte-rendu sur ce blog.
  4. Concours Régional de la Maison Cidricole de Bretagne.
  5. http://www.macgleo.com/blog/2017/06/12/palmares-du-concours-2017-de-la-maison-cidricole-de-bretagne/
  6. Palmarès sur: http://www.cidref.fr/palmares-
  7. http://www.macgleo.com/blog/2017/08/31/petite-tournee-au-herefordshire/
  8. le repay integral sur: https://vimeo.com/235653729
  9. Merci au Sistrot à Quimper, au Sapin à Nantes et à l’EMC2 à Rennes.
  10. Salon International de les Sidres de Gala
  11. http://www.macgleo.com/blog/2017/11/02/au-retour-de-quelques-evenements-cidricoles/
  12. http://www.sagardoarenlurraldea.eus/es/sagardo-forum/concurso-sidra-internacional/resultados/
  13. De l’agitation.
  14. Cidre artisanal
  15. Crab-apples désigne les pommettes sauvages dont on se servait anciennement pour le cidre en Amérique. Elles sont parfois intéressantes (quelques producteurs en font usage), mais  parfois également inappropriées. C’est ce dernier sens qui est utilisé ici.
  16. Le bar à cidre de Quimper propose pas moins de 57 cidres de haute tradition à sa carte (https://www.facebook.com/lesistrot/)
  17. Structure dédiée à la promotion et l’exportation de cidres de haute tradition (www.bretoncellar.com)
  18. Que la chance vous apporte plein de pommes dans vos arbres.

29. décembre 2017 par mark
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