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Maître de chai et œnologue du cidre

Ramasser les pommes à cidre n’a pas été une sinécure cette année. Les conditions climatiques n’ont pas été clémentes, les volumes n’ont pas été à la hauteur des espérances, même s’il y a eu localement de belles exceptions et, plus embêtant, la teneur en sucre des fruits est assez médiocre. Les maîtres de chai* et œnologues** vont donc avoir beaucoup de travail cet hiver. Cela nous donne l’occasion de mettre un peu de lumière sur leur travail à l’ombre des cuves de fermentation.

Tout commence au verger que le maître de chai fréquente tout autant que l’arboriculteur, car il lui importe de connaître le sucre dont il va potentiellement disposer. Pour mémoire la fermentation est la transformation du sucre en alcool sous l’action des levures. Il est donc indispensable de trouver suffisamment de ces deux ingrédients pour espérer réussir son cidre.

La récolte est donc inventoriée puis testée afin de déterminer les volumes et les qualités des matières premières disponibles. Le processus d’élaboration peut alors effectivement commencer.

La première opération consiste à broyer les pommes, qui sans cela ne libèreraient pas beaucoup de jus, avant de les presser dans des machines qui n’ont plus grand chose à voir avec les pressoirs à l‘ancienne, mais offrent la sécurité, l’hygiène, de meilleures conditions de travail et surtout de bons rendements.

À la sortie du pressoir, nos techniciens de l’alchimie du cidre analysent le jus afin d’en connaître la composition et la densité. Cette dernière donnée permet d’estimer la quantité d’alcool en devenir. Le moût issu du pressoir est clarifié en cuve (pour des raisons de sécurité alimentaire, les barriques en bois sont depuis longtemps abandonnées). En quelques jours les lies et les matières solides se précipitent au fond de la cuve tandis que les pectines coagulent et entrainent nombre de bactéries pour former en surface une masse visqueuse appelée chapeau brun (de l’efficacité de ce chapeau dépend bien souvent la qualité du produit final), laissant au centre de la cuve un moût clarifié destiné à élaborer le cidre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bien évidemment ce moût clarifié fait à nouveau l’objet d’analyses. On y compte le tanin, l’acidité, les polyphénols, les ferments en tous genre, la population de levure et bien sur le sucre. Le moût clarifié est dirigé vers les cuves de fermentation où il se transforme lentement en cidre. Il y a une première phase dite de fermentation alcoolique pendant la quelle les sucres se transforment en alcool et une autre ou le cidre acquiert son caractère.

Inutile de préciser que pendant tout ce temps les œnologues et les maîtres de chai contrôlent en permanence l’évolution du cidre en devenir. Ils veillent à la santé des levures en les soignant au mieux si elles faiblissent, mais n’hésitent pas à couper dans leurs rangs (par soutirage ou par filtration) si d’aventure elles prolifèrent. Ils scrutent évidemment l’apparition redoutée de telle ou telle bactérie qui pourrait tout compromettre et enfin ils surveillent comme le lait sur le feu l’évolution de la densité.

Nous l’avons déjà évoqué, de la densité du cidre au moment de sa mise en bouteille dépend sa caractérisation en doux, demi-sec ou brut. Le cidre est stabilisé avant sa mise en bouteille, il suffit pour cela d’en finir avec les levures (par soutirage ou par filtration) à moins qu’elles ne trouvent plus de sucre à consommer auquel cas elles meurent et tombent en fond de cuve.

Autrefois le cidre était mis en bouteille (si le temps le permettait) les jours de grand beau temps car les hautes pressions atmosphériques favorisent le soutirage d’un jus parfaitement clair, et les bouteilles étaient stockées six semaines en cave tempérée  afin d’y faire leur prise de mousse. Ce phénomène de l’arrivée de l’effervescence est en fait la transformation des sucres résiduels encore dans la bouteille en gaz carbonique sous l’action des levures également résiduelles. Ce sont leurs résidus qui forment les dépôts dans les bouteilles de cidre traditionnel.

Aujourd’hui les nécessités du commerce interdisent d’attendre si longtemps et les cidres sont soigneusement filtrés avant leur mise en bouteille. L’obtention de l’effervescence se fait donc le plus souvent par ajout de gaz, ce qui présente le double avantage de la rapidité, le cidre pétille sous quelques jours, et de la sécurité, le gaz limitant considérablement les risques de dégradation du produit en bouteille.

Les cidres d’Appellation Origine Protégé, les cidres de petits producteurs et les cidres domestiques sont cependant élaborés selon l’ancienne méthode avec une prise de mousse naturelle de six semaines. Ils y gagnent en palettes aromatique et font le bonheur des amateurs, mais ils sont fragiles et ne peuvent guère voyager sans prendre des précautions (le moindre coup de chaud peut y réveiller des levure ou des bactéries qui ne manqueraient pas d’y bouleverser le bel équilibre).

Les œnologues suivent dès lors l’évolution du cidre en bouteille (lâchés par les maîtres de chai déjà tournés vers le millésime suivant). Ils vont encore l’examiner de près, vérifier qu’il est bien dans sa catégorie (il leur arrive parfois de découvrir du cidre demi-sec bien doux ou carrément brut), qu’il n’est pas affecté de défaut et que son effervescence et bien dans la norme. Ce travail se poursuit tant que la cuvée n’est pas entièrement commercialisée.

Les concours, à la fois challenges, réjouissances et passerelles entre le monde agricole (et agro alimentaire) et le grand public, sont les occasions où œnologues et maîtres de chai tiennent les premiers rôles, en pleine lumière cette fois ci, même si bien souvent ils ont préparé l’affaire dans l’ombre. Ils connaissent si bien leur sujet que même les plus experts des hédonistes s’en remettent à leur savoir.

 

* Le maître de chai est le responsable des soins à donner aux cidres dans un chai ou une cave. En collaboration avec l’œnologue, il (ou elle) supervise toutes les opérations qui conduisent à son élaboration.

** L’œnologue (étymologiquement : qui possède la science du vin) est un scientifique dont les connaissances sont précieuses pour conseiller le cidrier dans ses choix. Il (ou elle) supervise l’élaboration, surveille les fermentations et le traitement des cidres, effectue des analyses et mène des recherches constantes afin d’améliorer les produits.

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